La gestion de l’eau à Trainecourt

Claire Hanusse mis en ligne en juin 2023 Pour citer cet article

Dans les communautés villageoises, l’accès à l’eau est une nécessité vitale pour les hommes comme pour les animaux : alimentation, soins du corps, arrosage, abreuvage, usages artisanaux, source d’énergie, etc. Au quotidien, l’eau peut être recueillie dans une rivière ou à une source, tirée d’un puits ou simplement récupérée lors des épisodes de pluies. La documentation textuelle apporte des éclairages assez riches sur les usages de l’eau en contexte urbain, monastique ou castral, mais beaucoup moins dans le cadre villageois. Nos connaissances proviennent pour l’essentiel des découvertes archéologiques éparses ; puits, citernes, mares, puisards et canalisations composent ces équipements communautaires ou privés.

Un texte de 1305, rédigé lors de la création de la villeneuve de Criquiers (Seine-Maritime), nous apprend que les moines de l’abbaye de Beaubec s’engagent à faire creuser à leur frais une mare et un puits (Bauduin 2001). Cet effort doit favoriser l’installation des nouveaux habitants (les hôtes) et témoigne de l’importance de ces structures dans la vie quotidienne des exploitations agricoles. Le hameau de Trainecourt possédait ces deux catégories d’équipements.

Les puits

Trainecourt (fin XIVe siècle/XVe siècle)

Deux puits ont été mis au jour (Plan). Le premier (Puits 1) est situé en bordure sud du chemin qui traverse le village, sur une placette aménagée d’une centaine de mètres carrés (Photo) ; le second (Puits 2) a été installé dans l’angle d’une cour agrandie en empiétant sur une partie du chemin (Photo). Ces puits sont respectivement profonds de 14,50 m et 11,85 m pour un diamètre inférieur à 1,25 m dans les parties hautes. Le puits 2 est réduit à 0,80 à partir d’une certaine profondeur.

Le puits 1 en cours de fouille

La construction de ces puits suit un processus identique. Une fosse est d’abord creusée, plus large que le puits lui-même, jusqu’à atteindre le substrat calcaire à 1,10 m de profondeur ; le creusement se poursuit ensuite jusqu’à la profondeur requise pour assurer un débit suffisant. Le comblement de la fosse initiale est assuré avec des matériaux extraits lors du creusement de celui-ci. Dans le cas du puits 1, les fouilleurs ont noté « la présence d'un dépôt de couleur verdâtre et brun » retrouvé sur un sol constitué de moellons de calcaire posés à plat formant une sorte de dallage au pied du puits. Celui-ci résulte de l’eau stagnante renversée au moment de son puisage.

Ces puits n’ont pas été construits en même temps. L’installation du premier, sur une placette en bordure du chemin, semble étroitement associée au développement initial du hameau. Sa localisation quasi centrale en fait un équipement communautaire essentiel. Le second, datant d’après Marie-Claude Taupin, du début du XIVe siècle est implanté dans la cour d’une ferme qui empiète sur le chemin ; son mur de clôture recouvre des ornières (indiquant le passage des charrettes) plus anciennes. Il s’agit clairement d’un puits privatif construit à l’initiative d’un individu qui avait les capacités économiques et/ou le savoir-faire pour réaliser ces travaux.

Le puits 1. C1f1_14

Ces deux puits ont fait l’objet d’une fouille avec un grappin donnant lieu à un enregistrement des couches détaillé pour le puits 1 et plus sommaire pour le puits 2.

Grâce à cela, on a pu observer que ces puits étaient entretenus et régulièrement curés pour assurer un bon débit et une bonne qualité de l’eau qui ne doit pas être polluée. Certains puits semblent d’ailleurs avoir été nettoyés peu avant leur abandon comme le montre l’exemple d’un puits fouillé à Vieux-Fumé (Calvados) lors d’une opération préventive (Hincker 1999).

Le processus de comblement de ces puits présente de grandes similitudes. Au fond, la présence de boues humide et de matériaux périssables (bois, cuirs, graines) indique qu’ils n’étaient pas totalement à sec. Le comblement du puits 1 est très intéressant puisqu’il contenait :

  • une importante quantité de bois (environ 7000 unités) stabilisée et conservée au Musée de Normandie ; il s’agit en grande majorité de petites chevilles, hypothétiquement attribuées à une activité de menuiserie, et d’autres objets usuels incomplets comme une cuillère, des fragments d’écuelles, un bol, des douelles de seau, un maillet, une cale et divers fragments de planchettes suggérant la présence d’un coffre incomplet, etc. (une étude est en cours par Cécile Lagane, CRAHAM) ;
  • une dizaine de semelles de chaussures (analyse de Véronique Montembault) ;
  • une grande quantité d’objets en fer : clous aux fonctions variées, éléments de pentures de porte ou de ventail de fenêtre, lames de couteau, chandelier, hache, grappin, crochet, houe à trois dents, etc. ;
  • quelques déchets de faune alimentaire  ;
  • enfin, des blocs de calcaire, parfois taillés, ou de simples moellons, provenant de bâtiments en cours de démolition ou déjà ruinés, qui composent la partie principale de ces comblements jusqu’à leur sommet.

Définition

Stabilisation : les objets archéologiques comme le cuir, le bois, le tissu… (le mobilier organique), se dégradent après leur dépôt sauf à être conservés dans l’eau ou des sédiments humides. Une fois mis au jour, ces objets se dégradent. Il faut donc interrompre ce processus d’altération en stabilisant ces matériaux afin d’assurer une conservation de longue durée. Les objets organiques provenant du site de Trainecourt, conservés au Musée de Normandie, ont été stabilisés par ARC-Nucleart / CEA localisé à Grenoble.

Grappin : FF21_G2_473 / Crochet à seau : FF21_G2_470

Crochet articulé et grappin mis au jour dans le puits 1.

Une mare

Trainecourt possédait un autre équipement essentiel : une mare, située en bordure sud du chemin, à une cinquantaine de mètres à l’ouest du puits 1. La fonction de ces mares, dont l’eau est parfois jugée malodorante, était de permettre l’abreuvage des animaux des habitants du hameau (bœufs de labour, moutons, chevaux, etc.) ou de ceux des passants. Celle de Trainecourt était accessible à tous depuis le chemin (côté nord) et depuis l’espace ouvert localisé au sud, une cour.

Le fond de la mare après la fouille des couches supérieures. Un mur, bordant le chemin recoupe la mare ; le bâtiment 11 a été ouvert vers l’ancienne mare qui sert de dépotoir.

Les deux états de la mare.

Le premier correspond à son usage en tant que mare. De forme trapézoïdale, elle occupait initialement un peu moins de 80 m2 et ouvrait sur le chemin sur 11 m de long. Cette fosse, simplement creusée dans le limon, atteignait au maximum 1 m de profondeur. Le fond et ses parois nord et sud, en pente douce, étaient pavés de moellons de calcaire qui étaient liés avec un mortier. Cela favorisait la conservation de l’eau accumulée lors des pluies, tout en stabilisant le sol sous le poids des animaux. Durant cet état, la mare est bordée par le bâtiment 11 dont le mur est ne disposait pas d’ouverture.

Dans un deuxième temps, elle est remblayée puis un mur est construit bordant le chemin. L’espace de l’ancienne mare devient alors un dépotoir pour les habitants de la maison 11 qui y accède par une porte aménagée dans l’ancien mur aveugle. Enfin, un tronçon de mur est construit dans le prolongement sud du bâtiment, fermant cet espace et accentuant sa privatisation.

Au sein des villages, la gestion de l’eau s’inscrit donc, le plus souvent, dans des pratiques communautaires qu’illustrent les équipements que nous venons de mentionner. Le texte médiéval cité plus haut montre bien les enjeux liés à leur présence dans les villages et hameaux, quel que soit l’environnement (région de plaine vouée à la céréaliculture où les animaux sont peu nombreux, régions de pâtures, régions de polycultures où l’élevage tient une place essentielle). Lorsque la ressource est aisément accessible (rivières, sources, …), le creusement d’un puits est sans doute moins nécessaire tandis que dans d’autres régions, le puits profond apparaît comme une solution impérative.

La consultation du cadastre « napoléonien » (début XIXe siècle) et nos observations actuelles laissent à penser que chacun pouvait disposer de son puits mais, dans la plaine de Caen, il s’agit en fait d’un phénomène récent (XXe siècle). La profondeur de la nappe phréatique (au-delà de 10/15 m) peut compliquer et renchérir les travaux car le sous-sol y est difficile à creuser. Là, les exemples archéologiques tendent à montrer qu’un seul puits par villages est la situation la plus fréquente (Vieux-Fumé, village de Courtisigny à Courseulles-sur-mer). Mais on se gardera de généraliser à partir de cette situation. D’autres exemples dans l’Est de la France démontrent que, lorsque la nappe phréatique est à quelques mètres, l’installation d’un puits se banalise. Ainsi, sur le site de Yütz (Moselle) ou encore à Sermersheim (Bas-Rhin), le nombre de puits est sans commune mesure. Sur ce dernier, ce sont 46 puits qui sont attestés entre le VIIe siècle et le XIe siècle, dont certains creusés au cœur d’un habitat aux VIIIe-IXe siècles (datation dendrochonologique et radiocarbone des bois constituant la chemise des puits). Beaucoup fonctionnent simultanément. À Yütz, certains de ces puits ont continué à être en usage après la disparition de l’habitat au Xe siècle jusqu’à la fin du Moyen Âge dans des parcelles cultivées ou des pâtures.

La gestion des eaux de pluie

Enfin, à Trainecourt, la gestion des eaux pluviales est un dernier enjeu de la vie quotidienne des villageois. Cela peut prendre d’abord la forme d’une simple récupération grâce à des récipients (tonnelets et autres bacs en bois) placés sous les toitures. Cependant, les chaumières normandes n’intégrant pas de chéneaux, ces récupérations restaient aléatoires et ne pouvaient être une alternative durable au puits.

En outre, la préoccupation majeure est d’assurer l’évacuation efficace de l’eau tombant sur les sols, surtout dans des régions comme la Normandie où le régime des pluies se traduit par des accumulations imprégnant le sol, le rendant boueux.

A Trainecourt, quelques aménagements repérés par les fouilleurs illustrent les solutions mises en œuvre. Par exemple, dans l’arrière-cour d’une maison (unité 60), une tranchée peu profonde (0,20 m) se développe sur 4,50 m de long, de manière perpendiculaire au seuil du bâtiment ; cela assure l’assainissement efficace devant cet accès. D’autres creusements localisés le long des ruelles entre deux bâtiments conduisaient les eaux de pluie vers le chemin. C’est plus particulièrement le cas pour les fermes placées au nord de la voie puisqu’elles sont construites sur le haut d’une légère pente nord-sud. Ainsi, dans l’unité 55, une tranchée – ou goulet – assurait l’écoulement des eaux depuis l’arrière-cour vers le chemin principal. Celle-ci était profonde de 0,15 m à son point de départ et de 0,40 m au débouché sur le chemin. Ces tranchées devaient sans doute recueillir toutes sortes de déchets et donc être curées lorsqu’elles perdaient toute efficacité.

Au sud du chemin, dans les parties les plus basses du site, ces conduites d’eaux de pluie débouchent sur des fosses creusées plus profondément dans le substrat calcaire. Par exemple, dans l’angle de la cour 86.3 (Photo 15_385.jpg), des drains conduisaient l’eau jusqu’à une fosse dont le volume est estimé par les fouilleurs à 8 m3, ce qui suggère une profondeur d’environ 1,50 m. Ses « parois étaient tapissées d’un matériau blanchâtre devenant très dur à l’air libre » (Taupin 1994, p. 31) ; de notre point de vue, il s’agit d’un témoin d’une calcification de la paroi du fait de la présence de l’eau. Une seconde fosse, profonde d’1,3 m, a été découverte dans l’angle nord-est de la cour 91.1, close de murs et bordant le côté est de la maison 91 (Photo C14f28_396). Les archéologues ont signalé que, durant la fouille, cette fosse se remplissait rapidement au tiers de son volume en cas de pluies et en totalité en cas d’orage. M.-C. Taupin a interprété de type de fosses comme des citernes. Notre lecture en fait plutôt des puisards, associés à des tranchées d’écoulement, qui facilitent avant tout l’évacuation des eaux de pluie, rendant ainsi les cours plus praticables. Cependant, cela n’exclut pas qu’ils aient pu servir de réserves d’eau occasionnelles.

Puisard et système de canalisation (Bâtiment 62) C3f15_278

Puisard (cour 91) rempli d’eau après un orage lors de la fouille C14f28_396

Un puisard avec tranchée drainante dans l’angle d’une cour (cour 86.3)

Outre les rapports de fouilles mentionnés au fil du texte – que vous trouverez sur le site – nous vous proposons quelques repères bibliographiques :

  • D. Alexandre-Bidon , « Archéo-iconographie du puits au Moyen Âge (XIIe-XVIe siècles) », Mélanges de l’Ecole française de Rome. Moyen-Age, 1992, vol. 104, n° 2, p. 519-543.
  • A. Guillerme, « Les temps de l’eau. La cité, l’eau et les techniques. Nord de la France, fin IIIe- début XIXe siècle. », Études rurales. 1984. Vol. 93, n° 1, p. 151 161.
  • J.-P. Leguay, L'eau dans la ville au Moyen Âge. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2002. Disponible sur Internet : http://books.openedition.org/pur/23725. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.23725.


Pour citer cet article :

Claire Hanusse « La gestion de l’eau à Trainecourt », pour Archean, les fouilles du hameau Trainecourt à Grentheville, Calvados, mis en ligne le 27 juin 2023. URL : https://pdn-archeo.unicaen.fr/archean/archean-portail/gestion_eau.html